Les bonnetières : «C’était la liberté!»

29 mai 2018 | Ecrit par Patrice MARCHAND

Chantal Gervais, déléguée CGT chez Devanlay en Mai 68, se souvient des deux semaines de blocage de l’usine.

Chantal Gervais, salariée de Devanlay et déléguée CGT âgée de 24 ans en Mai 68, a occupé son usine de la rue Courtalon pendant deux semaines.

Lorsque le vent de révolte souffle sur les usines, Chantal Gervais a 24 ans. La déléguée CGT travaille comme petite main pour le groupe Devanlay-Recoing dans la capitale de la bonneterie. « Pour moi, Mai 68, c’est avant tout un souvenir de liberté. C’était vraiment la liberté ! » assure la retraitée, aujourd’hui âgée de 74 ans.

« On rigolait bien, mais on vivait des injustices »

L’essor économique des Trente Glorieuses rime, dans les ateliers, avec la précarité et la pénibilité. Les bonnetières, à l’époque, sont rémunérées à la tâche.

Malgré des semaines très chargées, Chantal Gervais assure un deuxième emploi, pendant un temps, comme placeuse au cinéma.

Les jeunes subissent un abattement sur salaire. « On rigolait bien, mais on vivait des injustices. On voulait que ça change. » Après une année 1967 marquée par des conflits sociaux, les ouvriers se mettent massivement en grève à l’appel des organisations syndicales et des étudiants en Mai 68.

« On a décidé d’occuper l’usine »

La France compte sept millions de grévistes à la fin du mois. Les femmes, qui ne figurent pas sur la liste des leaders du mouvement, sont pourtant très actives sur le terrain. À Troyes, elles retirent la blouse et disent stop. « On a fait un barrage avec toutes les filles, devant nos ateliers de la rue Courtalon, là où se trouve maintenant le lycée Jeanne-Mance, se souvient la syndicaliste, qui ne parvient pas à se rappeler précisément les dates. Ça fait tout de même cinquante ans… On a décidé d’occuper l’usine. Ça a duré deux semaines. » « Nous laissions passer les cadres, mais ils n’avaient pas la clé. Ils devaient sonner pour entrer. L’atelier était à nous », raconte Chantal Gervais.

Tandis que, pour les détracteurs du mouvement, Mai 68 a fait le lit de l’individualisme et du laxisme, les grévistes se souviennent d’une solidarité forte et d’un respect de leurs lieux de travail. « On en a bien pris soin de notre usine. On a recouvert les outils de travail. »

Dans L’Est éclair du 21 mai, le journaliste écrit : « Partout où nous nous sommes rendus, des équipes assuraient l’entretien du matériel, et parfois même, dans les teintureries, s’efforcent de préserver les bains et de terminer le travail en cours. »

Chantal Gervais a vécu cette période comme un moment d’échanges très fort : « On est restées là jour et nuit, se relayant pour participer aux manifestations ou aux assemblées à la Bourse du Travail, rentrant chez nous à tour de rôle pour dormir un peu ou faire sa toilette. »

« Ce jour-là, j’ai pleuré »

« Le boulanger nous amenait des croissants le matin, des gens nous donnaient de l’argent. On jouait aux cartes, on discutait, se remémore Chantal Gervais. On a appris à se connaître vraiment. Après ça, on ne voyait plus les collègues de la même façon…  » Les occupantes sont pendues au transistor. En attente de nouvelles de la capitale. Les négociations sont organisées au niveau national, entre l’Union des industries textiles et les syndicats de salariés.

Quand un accord est trouvé, le 30 mai, c’est l’heure de rendre les clés. « Ce jour-là, j’ai pleuré. On a tout rendu en bon état. On a repris le travail. Jamais on n’a échangé de remarques désobligeantes avec ceux et celles qui n’avaient pas voulu la grève. »

Pour Chantal Gervais, Mai 68 est une victoire. Sur les salaires, la reconnaissance des sections syndicales, la fin des abattements sur les salaires des jeunes. C’est aussi un pas de géant pour les femmes. «  Je ne suis pas féministe. Mais je me suis battue pour l’égalité des droits. »

Sur ce plan, comme sur les autres, le combat n’est jamais fini pour la syndicaliste, qui a connu 25 plans sociaux, et a participé aux « grandes luttes sociales  » comme en 1995. « Aujourd’hui, le gouvernement détricote le code du travail et nous enlève les acquis sociaux obtenus dans le passé. Il ne faut pas baisser la garde. »

   lire la suite sur le site du journal

Laissez un commentaire